Le starets débauché

Grigori Efimovitch dit Raspoutine est né en Sibérie dans le village de Pokrovskoïe, une terre reculée et impitoyable. Dès son plus jeune âge, il est considéré comme un enfant spécial du fait de ses visions fréquentes et précises on raconte même qu’il guérit les chevaux par le simple contact de ses mains. À l’âge de 18 ans il devient profondément religieux et commence à fréquenter les monastères. C’est ainsi qu’il entre en contact avec la secte des khlysty, une secte russe active de la fin du XVIIème siècle au début du Xxème siècle, appelée aussi les flagellants. Il est alors initié à la mortification, l’une des nombreuses pratiques radicales qu’il adoptera au cours de sa vie.

Son épouse, Praskovia Doubrovina, une femme de son village, lui donnera cinq enfants. Mais un jour, il abandonne sa famille pour accomplir des pèlerinages en Grèce puis à Jérusalem et se forgera l’image d’un homme saint. On prétend qu’il effectue des rituels religieux au cours desquels les personnes chantent et dansent jusqu’à atteindre l’extase et se livrer à des orgies. C’est la raison pour laquelle on l’aurait nommé Raspoutine terme qui signifie « débauche » en russe.

Pour lui, le but de cette pratique est de commettre délibérément des péchés charnels afin de se repentir plus sincèrement par la suite. En d’autres termes, il pèche pour chasser le péché. Certains l’appellent le moine fou mais il est prouvé qu’il n’a jamais appartenu à un ordre religieux. Au cours d’un épisode mystique, il affirme qu’une voix lui a demandé de se rendre à Saint-Pétersbourg pour apporter son aide au tsar.

Il décide donc de rejoindre la capitale de l’empire et personne n’aurait pu prévoir qu’il jettera une terrible malédiction sur les représentants de la dynastie des Romanov. À l'époque des tsars, la société russe est profondément croyante. L’église orthodoxe est prépondérante, mais le peuple russe s’adonne à toutes sortes de superstitions.

Dans un premier temps, l’aristocratie est choquée par le manque de propreté et la mauvaise odeur de Raspoutine, mais ses pouvoirs de guérison et ses visions prophétiques vont rapidement faire de lui un personnage influent. Il parvient à entrer dans le cercle intime de la famille impériale après avoir été présenté à la tsarine comme le sauveur de son fils. Celle-ci est désespérée et prête à tout pour le salut d’Alexis. Elle ignore, à ce moment précis, qu’elle vient de condamner les Romanov à une fin tragique.

L’avenir de la maison régnante de Russie est en suspens à cause de la mauvaise santé du tsarévitch. À l'époque, l’hémophilie est une maladie redoutable, transmise par la mère. L’enfant ne peut donc pas mener une vie normale et ses parents ne cessent de s’inquiéter.

Raspoutine qui est devenu célèbre grâce à ses dons de guérisseur et de ses prédictions, a fait la connaissance de l’impératrice par l’intermédiaire de sa cousine. Il la convainc immédiatement de renoncer aux traitements traditionnels pour s’en remettre à ses thérapies mystiques et à ses pouvoirs ésotériques. En effet, Le jeune tsarévitch se voit régulièrement administrer un nouveau traitement très populaire à l’époque : l’aspirine.

On sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un anticoagulant et qu’il ne faut donc pas en prescrire aux hémophiles. Mais Raspoutine persuade l’impératrice Alexandra que ses prières ont eu un effet providentiel sur la santé de son fils et son soudain rétablissement est considéré comme un authentique miracle. Dès lors, Alexandra lui voue une confiance aveugle. Raspoutine parviendra, en quelques semaines, à faire croire au Romanov que leur destinée est inextricablement liée à sa personne. Au cours des dix années qui vont suivre, la société russe assiste fascinée à l’essor de Raspoutine lequel coïncide avec le déclin de la famille impériale.

La tsarine, qui pense agir dans l’intérêt des siens, ne peut imaginer que la présence de cet homme leur coûtera d’une part, la couronne impériale et d’autre part, leurs vies. En effet, le protégé de la tsarine est un personnage controversé, qui suscite le scandale autour de lui. Il persuade les gens qu’il lui suffit de les toucher pour les guérir, ce qui lui permet de séduire de nombreuses femmes. Certains s’inquiètent par ailleurs de son apparente immoralité, mais Nicolas II fait la sourde oreille. Les dignitaires du régime, et même les membres de la famille impériale, comprennent vite que s’en prendre à Raspoutine n’entraîne que leur propre disgrâce.

Le soutien que les Romanov lui accordent consolide sa réputation et accroît ses ambitions. Il continue d’user de son ascendant sur Alexandra qui de son côté l’appelle : « notre ami ». Elle est convaincue que son fils doit la vie sauve qu’à ses bons soins, dès lors, Raspoutine peut donc obtenir tout ce qu’il désire et il n’hésite pas à en profiter. La maladie du tsarévitch étant un secret, son étroite relation avec l’impératrice fait beaucoup parler à la cour. Sa réputation de débauché le précède et en dehors des proches du pouvoir, on s’interroge sur leurs liens, et des rumeurs commencent à circuler.

En 1905, après des mois de grèves, de violences et de débats politiques sur l’avenir de la Russie, Nicolas II signe le manifeste d’octobre qui rend le régime moins autoritaire qu’à l’époque de son père. Le document accorde la liberté de conscience, d’expression libre, de réunions et d’associations. Le tsar ignore alors que cette tentative de modernisation du pays se retournera contre lui. Une fois les anciennes restrictions abolies, certains journaux osent évoquer les relations entre le moine fou et l’impératrice Alexandra et même d’affirmer qu’ils sont amants. À chaque nouveau scandale, les Romanov sont de plus en plus isolés à la cour ce qui ne fera qu’accélérer la chute de la dynastie.

Noan Benito Vega
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