les Quatre Saisons
L’été, extrait des quatre saisons de Vivaldi, est une musique que vous avez pu entendre aussi bien dans un ascenseur que dans une salle de concert. Les quatre saisons, tube planétaire incontestable, est une œuvre restée dans un relatif anonymat alors qu’elle est maintenant victime de son propre succès et, sous prétexte qu’on l’aurait trop entendue dans les supermarchés et sur les répondeurs, on ne pourrait plus la ranger dans la catégorie des chefs-d’œuvre. Erreur ! On peut aborder avec fraîcheur et sans a priori, une œuvre riche, trépidante, surprenante et nous donner ainsi l’impression de la découvrir.
Antonio Vivaldi (1678-1741) a composé la plus grande part de ses 319 concertos solistes sous la forme cyclique à trois mouvements qui dominait à son époque. Avec les vingt-cinq concertos, qui portent des titres tels que « le calme », « le plaisir » et la « nuit » et qui ont introduit un élément narratif dans la musique, Vivaldi rejoignait certaines conceptions de grands compositeurs comme Giovanni Gabrieli ou Roland de Lassus. Ils avaient mis au point des rythmes et des mélodies spécifiques suggérant des images pour la représentation des scènes de bataille, de chants d’oiseaux ou de scènes de chasse et de marché, qu’ils utilisaient dans leurs compositions de musique profane pour chorales.
Des virginalistes anglais et des clavecinistes français transposèrent ces idées aux instruments de clavier et des compositeurs d’opéras français et italiens mirent alors au point, dans des descriptions de tempête, de scènes de sommeil et d’images paysannes idylliques, un vocabulaire bien déterminé, à la fois réaliste et stylisé.
Le fait que les quatre saisons de Vivaldi occupent une place aussi importante dans la musique instrumentale baroque s’explique par l’union de trois éléments habituellement séparés. Le compositeur a transféré la musique d’orchestre de l’opéra, qui décrit des atmosphères et exprime des sentiments, à sa vision du concerto soliste. Par-là, il a attribué aux mouvements externes de ce dernier, par la forme de ritournelle toujours perceptible, une présence architecturale et un caractère thématique en tonal solide. Il a également accordé à l’interprète la possibilité de se mettre en valeur avec virtuosité.
Parmi les œuvres qui constituent, dans le domaine orchestral, la prolongation de la tradition, dont il était à l’origine, il faut compter par exemple la cantate de Telemann « les heures du jour », la trilogie symphonique de d'Haydn « le matin, le midi et le soir » et la sixième symphonie de Beethoven dite « la pastorale » écrite en 1808.
Les quatre concertos pour violon soliste, orchestre à cordes et continuo, qui furent publiés sous le titre « Il cimento dell’armonia e dell’invenzione » littéralement « l’épreuve de l’harmonie et de l’invention » vers 1725 à Amsterdam, comme partie de son opus VIII qui comprend en tout 12 concertos, ne sont connus que dans leur deuxième version élargie. Sa préface fait apparaître qu’il avait à l’origine un caractère « absolu », purement concertant et non programmatique.
C’est seulement lors de la publication de la version imprimée que Vivaldi y ajouta aussi les quatre sonnets introductifs, œuvre d’un auteur anonyme. Chaque poème comprenait quatorze lignes et il en fit ressortir quelques-unes, en marge du poème, des lettres capitales. Il répéta les lettres dans les parties du concerto et compléta par endroits ses conceptions de l’interprétation par des remarques explicatives supplémentaires. Ainsi le mouvement lent de la voix alto du concerto du printemps est complété par cet ajout « du chien qui aboie ». Par ailleurs, il résolut de façon aussi simple que convaincante le problème de la concordance des caractéristiques « absolues » et extra-musicales : la ritournelle véhicule l’atmosphère générale du mouvement en question ; les épisodes du texte sont illustrés dans les parties solistes, ce qui accentue l’atmosphère générale du poème et bien entendu également celle de la musique.
Dans le printemps, cet enchevêtrement du rationnel et du fanatique et le principe aussi de Vivaldi de faire ressortir les scènes changeantes d’une image d’ensemble à différents endroits du mouvement, est comme dans une prise de vues agrandissante, parfaitement audible. L’introduction du rythme dansant d’une bourrée présentée théâtralement en tutti revient à plusieurs reprises et elle garde dans les intermèdes un espace pour des chants d’oiseaux solistes, le murmure d’un ruisseau et un orage éclatant.
Le Largo, qui a renoncé à la basse, offre d’emblée trois sensations différentes d’une chaude heure de midi avec le sommeil du berger (violon solo), le bruit doux des rameaux et des branches et l’aboiement saccadé du chien du berger. Les quintes de cornemuse du final font alors référence à l’arrière-plan paysan de la scène peuplée de bergers et de nymphes. La lourde chaleur de l’été et la fatigue de l’homme constituent, dans le deuxième concerto, les idées essentielles du mouvement principal ou des cris de coucous sont perceptibles dans les figures des cordes. Le tonnerre, l’éclair et les nuages effervescents d’insectes perturbent le calme avant qu’un orage ne passe violemment dans le mouvement terminal au-dessus du champ de blé mûr.
L’automne décrit les joies de la récolte, interrompues par les mouvements dysharmoniques d’un ivrogne titubant ; des agencements audacieux d’accords dans la partie lente suggèrent les sentiments d’un dormeur soustrait aux yeux du monde et le dernier est transformé en une scène de chasse réaliste par l’imitation de l’aboiement des chiens, de la détonation des fusils de chasse et la chute du gibier blessé. Des voix dissonantes se superposent évoquant, dans l’hiver, le froid, le claquement des dents, le bruit lourd des pas, et elles démontrent la suprême créativité harmonique du compositeur.
Le largo illustre la situation idyllique d’un homme comblé, qui vit avec bonheur, devant sa cheminée et la pluie torrentielle. Le dernier mouvement dépeint les joies et les souffrances des patineurs, la rupture de la glace et la lutte entre le sirocco méridional et le vent froid du nord.
Compositeur à la fois brillant et fantasque, Vivaldi apporta au concerto une nouvelle passion, une vigueur inusitée, une conscience jusque-là ignorée de la douleur instrumentale et de la manière de l’exploiter. La fraîcheur et la clarté de son inspiration conférèrent à ces concertos un attrait particulier et une influence certaine. Beaucoup de compositeurs les imitèrent et s’en inspirèrent, à commencer par Bach.
Noan Benito Vega
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Concerto pour violon "l'estate" RV 315, en sol mineur. Ospedale della Pietà, Agnieszka Uscinska (violon)
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